Intervention de M. Miguel Díaz-Canel Bermúdez, Président de la République de Cuba, au débat général de la soixante-dix-huitième session de l’Assemblée Générale des Nations Unies. New York, mardi 19 septembre 2023

Édité par Reynaldo Henquen
2023-09-20 10:29:52

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Monsieur le Président ;

Monsieur le Secrétaire général ;

Excellences,

J’apporte à cette Assemblée la voix du Sud, celle des « exploités et des bafoués », comme l’affirmait dans cette même salle, voilà presque soixante ans, le Che Guevara.

Des peuples différents aux problèmes communs. Nous venons de le confirmer à La Havane, qui s’est honorée d’accueillir le sommet des dirigeants et autres hauts représentants du Groupe des 77 et de la Chine, le groupement de nations actuellement le plus représentatif, le plus ample et le plus divers dans l’arène multilatérale.

Durant deux jours, pratiquement sans relâche, plus de cent représentants des cent trente-quatre nations qui forment le Groupe ont élevé leur voix pour demander des changements qu’on ne saurait ajourner davantage, compte tenu de l’ordre économique international en place, injuste, irrationnel et abusif, qui n’a cessé d’aggraver, année après année, les énormes inégalités existant entre une minorité de nations très développés et une majorité auxquelles l’euphémisme de « nations en développement » n’est même plus applicable.

Pis encore, comme l’a rappelé le Secrétaire général des Nations Unies au Sommet de La Havane, le G-77 a vu le jour voilà soixante ans pour remédier à « des siècles d’injustice et d’abandon, mais ses membres sont attrapés dans un fouillis de crises mondiales sur une planète où la pauvreté va s’aggravant et la faim empirant ».

Ce qui nous a unis, c’est la nécessité, toujours en souffrance, de changements et notre condition de victimes principales de la crise mondiale multidimensionnelle, de l’échange inégal abusif, du fossé scientifique et technologique et de la dégradation de l’environnement.

Mais ce qui nous unit aussi depuis plus d’un demi-siècle, c’est la question incontournable du moment, à savoir la transformation de l’ordre international actuel, et notre décision d’y parvenir, parce que cet ordre-là n’est pas seulement discriminatoire et irrationnel, mais qu’il est aussi intolérable pour notre planète et incapable d’assurer le bien-être de tous.

En tant que pays représentés dans le G-77, où vivent 80 p. 100 de la population mondiale, nous n’avons pas seulement à régler le problème du développement, mais nous devons aussi modifier les structures qui nous marginalisent du progrès mondial et convertissent bien des peuples du Sud en des laboratoires où s’appliquent de formes de domination renouvelées. Un contrat mondial, nouveau et plus juste, presse.

Monsieur le Président,

À seulement sept ans de la date-butoir fixée à la concrétisation du Programme à l’horizon 2030, gros de promesses, le panorama est désolant, comme l’a déjà reconnu cette auguste institution: au rythme actuel, aucun des dix-sept Objectifs de développement durable ne sera atteint et plus de la moitié des cent soixante-neuf cibles adoptées sera ratée.

C’est une offense à la condition humaine qu’en plein XXIe siècle, presque 800 millions de personnes se couchent la faim au ventre sur une planète qui produit assez pour nourrir tous ses habitants.

Ou qu’à l’ère de la connaissance et du développement accéléré des technologies de l’information et des communications, plus de 760 millions de personnes, dont le tiers sont des femmes, ne sachent ni lire ni écrire.

Par leurs seuls efforts, les pays en développement ne peuvent concrétiser le Programme 2030 ; ils doivent être étayés par des actions extérieures concrètes : accès aux marchés, financement à des conditions justes et préférentielles, transfert de technologies et coopération Nord-Sud.

Nous ne demandons pas l’aumône ni ne supplions des faveurs.

Le G-77 réclame des droits et continuera de demander une transformation profonde de l’architecture financière internationale, parce qu’elle est foncièrement injuste, anachronique et dysfonctionnelle, pour la bonne raison qu’elle a été conçue afin de piller les réserves du Sud, de perpétuer un système de domination qui aggrave le sous-développement et de reproduire un modèle de colonialisme moderne.

Nous demandons, parce que nous en avons besoin, des institutions financières au sein desquelles nos pays auront vraiment un droit de décision et un accès au financement.

Les banques de développement multilatérales doivent être recapitalisées d’urgence afin qu’elles soient en mesure d’améliorer radicalement leurs conditions de prêts et de satisfaire aux besoins financiers du Sud.

Les pays du G-77 ont dû tirer 379 milliards de dollars de leurs réserves pour défendre leurs monnaies en 2022, soit presque le double du montant des nouveaux Droits de tirage spéciaux que leur a assignés le Fonds monétaire international.

Il faut rationnaliser, réviser et modifier le rôle des agences de qualification des crédits. Il faut aussi, impérativement, poser des critères qui dépassent celui du simple Produit intérieur brut au moment de définir l’accès des pays en développement à un financement à des conditions de faveur et à la coopération technique adéquate.

Alors que les pays les plus riches ne s’acquittent pas de leur engagement d’allouer au moins 0,7 p. 100 de leur Produit national brut à l’Aide publique au développement, les nations du Sud doivent consacrer jusqu’à 14 p. 100 de leurs revenus au paiement des intérêts de leur dette extérieure.

La plupart des nations du G-77 sont contraintes d’allouer au service de la dette plus de ressources qu’aux investissements en santé ou en éducation. Quel développement durable peuvent-elles engendrer avec un tel carcan au cou ?

Le G-77 renouvelle aujourd’hui son appel aux créancier publics, multilatéraux et privés : la dette doit être refinancée par des garanties de crédit, des intérêts plus faibles et des délais d’échéance plus étendus.

Nous insistons pour qu’un mécanisme multilatéral de renégociation de la dette souveraine soit mis en place avec la participation réelle des pays du Sud afin de garantir un traitement juste, équilibré et axé sur le développement.

Il est impérieux de reconcevoir une bonne fois pour toutes les instruments de la dette et d’y inclure des clauses d’allègement et de restructuration qui s’activeraient dès qu’un pays serait touché par des catastrophes naturelles ou par des chocs macroéconomiques, des événements si fréquents dans les nations les plus vulnérables.

Monsieur le Président,

Aucune personne sensée ne conteste désormais que les changements climatiques menacent la survie de tous les pays d’effets irréversibles.

C’est aussi un secret de Polichinelle que ceux qui provoquent le moins les crises climatiques sont ceux qui en subissent le plus les effets, notamment les Petits États insulaires en développement, et que les pays industrialisés, prédateurs voraces des ressources et de l’environnement, qui en sont les premiers responsables violent les engagements que leur imposent la Convention-cadre sur les changements climatiques et l’Accord de Paris.

Je n’en veux qu’un seul exemple : il est profondément décevant que l’objectif de mobiliser non moins de cent milliards de dollars par an jusqu’en 2020 à titre de financement climatique n’ait jamais été atteint.

Face à la vingt-huitième Conférence des États parties à la Convention-cadre (COP28), les pays du G-77 tiennent à fixer des priorités : l’exercice du Bilan mondial ; la mise en route du Fonds pour pertes et dommages ; la définition du cadre concernant l’Objectif d’adaptation et la fixation du nouvel objectif de financement climatique, dans le plein respect du principe des responsabilités communes mais différenciées.

Le G-77 organisera un Sommet des dirigeants du Sud le 2 décembre prochain à Dubaï, au cours de la COP28. Cette initiative, sans précédent dans ce cadre, permettra à nos pays d’articuler leurs positions au plus haut niveau en matière de négociations climatiques.

La COP28 prouvera si, au-delà des beaux discours, les nations développées ont vraiment la volonté politique d’atteindre des accords devenus d’ores et déjà impératifs en ce domaine.

Monsieur le Président,

Le G-77 estime qu’il est prioritaire de modifier une bonne fois pour toutes les modèles qui se sont imposés en science, technologie et innovation, et qui se bornent aux environnements et aux perspectives du Nord, privant de ce fait la communauté scientifique internationale du capital intellectuel considérable qui s’engendre ailleurs.

Le Sommet de La Havane, dont le succès est incontestable, a lancé un appel urgent à axer la science, la technologie et l’innovation autour de l’objectif incontournable du développement durable.

Nous y avons décidé de relancer les travaux du Consortium pour la science, la technologie et l’innovation dans le Sud (COSTIS) afin de promouvoir des projets de recherche conjoints et de favoriser des chaînes productives qui réduisent notre dépendance d’envers les marchés du Nord.

Nous sommes convenus aussi de promouvoir la convocation, en 2025, d’une réunion de haut niveau de l’Assemblée générale de l’ONU sur la science, la technologie et l’innovation au service du développement.

Les dix-sept projets de coopération que Cuba a structurés en sa qualité de président du G-77 contribueront à canaliser les potentialités de la coopération Sud-Sud et de la coopération triangulaire. Nous invitons instamment les nations les plus riches et les organismes internationaux à participer à ces initiatives.

Cuba ne renoncera pas à ses efforts pour promouvoir le potentiel créatif, l’influence et le leadership du G-77. Notre Groupe a beaucoup à apporter au multilatéralisme, à la stabilité, à la justice et à la rationalité dont notre monde a besoin.

Monsieur le Président ;

Excellences,

À tous les problèmes et enjeux qui caractérisent la réalité de nos nations et mobilisent les peuples, s’ajoute ce qu’on appelle par euphémisme des « sanctions », mais qui sont bel et bien des mesures coercitives unilatérales que des États puissants, qui s’arrogent le droit d’agir en juges universels, ont converties en une pratique habituelle pour affaiblir et détruire des économies, et isoler et soumettre des États souverains.

Cuba n’est pas le premier État souverain à avoir fait l’objet de mesures de ce genre, mais elle est en tout cas celui qui les supporte depuis le plus longtemps. Et bien que cette même Assemblée générale les condamne chaque année à la quasi-unanimité, le gouvernement de la plus grande puissance économique, financière et militaire du monde continue de s’en moquer et de faire fi de cette volonté expresse.

Nous n’avons pas été les premiers et nous ne sommes pas les derniers. Les pressions visant à isoler et à affaiblir des économies et des États souverains ont aussi touché le Venezuela et le Nicaragua, et ont été, avant et après, le prélude d’invasions et de renversements de gouvernements gênants au Moyen-Orient.

Nous rejetons les mesures coercitives unilatérales infligées à des pays comme le Zimbabwe et la République populaire démocratique de Corée, entre bien d’autres pays dont les peuples sont les premiers à souffrir les conséquences.

Nous réitérons notre solidarité avec la cause du peuple palestinien.

Nous appuyons le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.

Je suis monté pour la première fois, voilà cinq ans, à cette tribune où se sont exprimés avant moi le leader historique de la Révolution cubaine, Fidel Castro Ruz, et Raúl Castro Ruz, pour exposer ces vérités et les idéaux de paix et de justice d’un petit archipel qui, fort de la dignité, du courage et de la fermeté inébranlable de son peuple et de son histoire, a résisté et continuera de résister.

Mais je ne peux pas monter à cette tribune mondiale sans dénoncer une fois de plus que Cuba souffre depuis soixante ans un blocus économique asphyxiant, conçu pour déprimer ses revenus et son niveau de vie, lui infliger des pénuries constantes d’aliments, de médicaments et d’autres articles essentiels, et pour brider ses potentialités de développement.

Telle est la nature, tels sont les objectifs de la politique de coercition économique et de pression maximale que suivent les administrations étasuniennes contre Cuba, en violation du droit international et de la Charte des Nations Unies.

Or, Cuba n’a pris aucune mesure, n’a entrepris aucune action pour porter préjudice aux Etats-Unis, à leur économie, à leur commerce ou à leur tissu social.

Cuba n’a mené aucune action pour menacer l’indépendance des Etats-Unis, leur sécurité nationale, pour porter atteinte à leurs droits souverains, pour s’ingérer dans leurs affaires intérieures, pour dégrader le bien-être de leur peuple. Si bien que la conduite des Etats-Unis est foncièrement unilatérale et injustifiée.

Le peuple cubain résiste et triomphe chaque jour de manière créative face à cette guerre économique impitoyable que, depuis 2019, en pleine pandémie, l’administration étasunienne du moment a durcie de manière opportuniste à des degrés encore plus extrêmes, cruels et inhumains. Les retombées en sont brutales.

À Washington et en Floride, les responsables ont peaufiné avec cruauté et avec une précision chirurgicale la manière d’infliger les pires dommages possibles aux familles cubaines.

Les Etats-Unis traquent et s’efforcent d’empêcher l’arrivée dans notre pays de carburants et de lubrifiants, comme si nous étions en pleine période de guerre !

Interdire dans un monde globalisé notre accès à des technologies, dont des équipements médicaux, qui contiennent plus de 10 p. 100 de composants étasuniens, n’est pas une absurdité : c’est un crime !

Les Etats-Unis devraient avoir honte de la politique qu’il suive contre la coopération médicale que Cuba prête dans de nombreuses nations ! Ils en arrivent à menacer ouvertement des gouvernements souverains pour qu’ils ne lui demandent pas cette contribution qui aiderait à répondre aux besoins de santé de leurs populations

Les Etats-Unis privent leurs citoyens du droit de voyager à Cuba, ce qui viole leur Constitution.

Le durcissement du blocus entraîne des flux migratoires élevés, comme on a pu le constater ces dernières années, ce qui cause des souffrances aux familles cubaines et a des conséquences démographiques et économiques nuisibles à notre nation.

L’administration étasunienne ment et entrave énormément le combat international contre le terrorisme en accusant Cuba, sans le moindre fondement, d’être commanditaire de ce fléau !

Forte de cette accusation arbitraire et mensongère, elle exerce, partout dans le monde, des pressions sur des centaines d’institutions bancaires et financières et les place devant l’alternative suivante : maintenir leurs relations avec les Etats-Unis ou les conserver avec Cuba.

Notre pays en en butte à un siège réel, à une guerre économique extraterritoriale, cruelle et silencieuse, qui se double de la mise en branle d’une puissante machine politique de déstabilisation, financée par les millions de dollars qu’approuve chaque année le Congrès des Etats-Unis, l’objectif en étant de tirer profit des carences que provoque le blocus et de saper l’ordre constitutionnel de notre pays et la tranquillité des citoyens.

Malgré l’hostilité de son gouvernement, nous continueront de jeter des ponts vers le peuple étasunien, tout comme nous le faisons avec tous les peuples du monde.

Nous consoliderons toujours plus nos liens avec l’émigration cubaine, partout dans le monde.

Monsieur le Président,

La promotion et la protection des droits de l’homme sont un idéal commun qui demande un véritable esprit de respect et de dialogue constructif entre les États.

Soixante-quinze ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la réalité est, hélas ! très différente. Cette question est devenue une arme politique aux mains de nations puissantes qui cherchent à soumettre à leurs propres visées géopolitiques des nations indépendantes, essentiellement celles du Sud.

Aucun pays n’étant libre de problèmes, aucun, par conséquent, ne peut s’ériger en exemple dans ce domaine ni stigmatiser d’autres modèles, d’autres cultures ou d’autres États souverains.

Nous prônons le dialogue et la coopération pour promouvoir et protéger efficacement les droits de l’homme, sans politisation ni sélectivité, sans deux-poids-deux-mesures, sans conditions ni pressions.

C’est dans cet esprit que Cuba a posé sa candidature au Conseil des droits de l’homme pour la période 2024-2026, à l’occasion des élections qui se dérouleront le 10 octobre prochain. Nous remercions d’avance de leur confiance les pays qui nous ont donné leur précieux appui.

Si elle est élue, Cuba continuera de défendre une vision universelle, mais toujours depuis le Sud, en faveur des intérêts légitimes des pays en développement, forte de son engagement constructif et de son attachement immuable à la pleine matérialisation de tous les droits de l’homme pour tous.

Cuba continuera de fortifier sa démocratie et son modèle socialiste qui, bien qu’assiégé, a prouvé tout ce peut faire un pays en développement, de petites dimensions et sans grandes richesses naturelles.

Nous poursuivrons nos efforts de transformation, à la recherche d’issues à l’encerclement que nous impose l’impérialisme étasunien et de voies menant à la prospérité accompagnée de justice sociale que mérite notre peuple.

Et, dans cette détermination, nous ne renoncerons jamais à notre droit à la défense.

Monsieur le Président ;

Chers chefs de délégation et autres représentants,

Je conclus en vous invitant tous à travailler à surmonter nos différences et à régler d’urgence nos problèmes communs.

À cet égard, les Nations Unies et cette Assemblée générale restent, malgré leurs limitations, l’instrument le plus puissant dont nous disposions.

Vous pouvez toujours compter sur Cuba pour défendre le multilatéralisme et promouvoir ensemble la paix et le développement durable pour tous.

Ce sera toujours un honneur de se battre pour la justice, en partageant difficultés et enjeux avec les « exploités et les bafoués » disposés à de changer l’histoire. Nous sommes plus et nous vaincrons.

Je vous remercie.

(Cubaminrex)



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