José Martí, le Cubain

Édité par Reynaldo Henquen
2024-01-26 17:20:58

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José Martí, le Cubain

PEDRO PABLO RODRÍGUEZ | Lettres de Cuba | 

 

 

José Martí a vécu peu de temps, très peu de temps à Cuba. L'enfance et l'adolescence jusqu'à dix-sept ans, avec deux voyages de près d'un an dans l'enfance : à Valence, quand son père a essayé de s’établir de nouveau sur sa terre d'origine et en Honduras Britannique – aujourd'hui Belize – avec son père qui cherchait des revenus pour subvenir à sa famille.

 

Ensuite il a résidé à Cuba quasi un an, d’août 1878 à septembre 1879, après avoir quitté le Guatemala. Et, finalement, les cinq semaines et demie dans la campagne de l’orient cubain, quand il s'est incorporé à la Guerre d'Indépendance, recommencée grâce à son prodigieux élan d’organisation.

 

Toutefois, comme nous le savons, il a dédié pleinement sa vie à la patrie, tant qu'il l’a indistinctement appelé mère et épouse. La patrie, Cuba, a été la figure féminine par excellence de celui qui, d’une certaine manière, a sacrifié l'amour de sa propre mère et de son épouse.

 

La première lui a toujours reproché cette préoccupation patriotique et elle l'a incité à s’ouvrir un chemin professionnel dans l'environnement familial. La seconde a fini par se séparer de lui et elle s'est toujours plainte de son inattention envers elle et son fils quant aux problèmes matériels.

 

Les deux, la mère et l’épouse, étaient des femmes intelligentes, persistantes et même tenaces dans leur relation avec lui, des véritables caractères qui n’ont pas faibli dans leurs appréciations respectives sur la vie, la famille et le foyer. José Martí a affronté ses incompréhensions pour le dévouement patriotique, sans espoir ni désir de récompense : plus d’une fois il a écrit à son ami mexicain qu'il était mort à l'intérieur.

 

D'une certaine manière il a donc renoncé à sa vie intime pour la patrie, cette femme insaisissable qui gémissait sous le joug colonial. Combien de matière dans cette relation pour un psychanalyste, évidemment ; combien de raisons nous expliquent aujourd'hui pourquoi il fut le chef de la Révolution de 95 et pourquoi, en vie, il était déjà le symbole de la nation, comme il a continué à l'être jusqu'à présent.

 

Lui-même a commencé ainsi un de ses Vers libres : « J’ai deux patries en moi : Cuba et la nuit ». La nuit – comme il l’a expliqué plus d’une fois – était le moment de sa création poétique, quand lui apparaissaient les fantômes, les anges et les démons qui mouvaient sa plume de barde.

 

Mais l'amour envers Cuba a été supérieur ; il a tout laissé pour elle, jusqu'à son œuvre d'écrivain, jusqu'à ces vers rebelles, confus, nés de ses entrailles, malheureusement inachevés, avec lesquels il allait révolutionner l'art poétique de son temps.

 

Il n'y a pas de mystères ni tortueux méandres dans son attitude. La sienne a été la même de très nombreux, de centaines et de milliers, de cubains et de cubaines depuis le 10 octobre 1868. Nous pensons à ces gentilshommes de l’orient cubain et de Camagüey qui ont renoncé à leurs maisons raffinées, leur bien-être et leurs familles unies pour aller à la guerre qui les a presque tous tués, laissant sans bien les survivants et convertissant leurs épouses et leurs filles en salariées.

 

Nous pensons à ces fiers hommes de la campagne, cultivateurs de leurs terres, qui ont abandonné leurs propriétés. Nous pensons à ces jeunes havanais qui ont laissé leurs études et des brillants futurs pour s’enrôler dans un long combat qui les a laissé malades, sans argent, sans logement dans la société coloniale.

 

José Martí a été aussi cubain qu’eux, même s'il est né de mère canarienne et de père de Valence. Il a été un plein cubain dans ses us et coutumes, dans sa culture. Il a été élevé dans les quartiers populaires de La Havane, à côté des enfants et des familles de noirs et de mulâtres libres, d'immigrants venus d'Espagne à la recherche de travail.

 

Son environnement infantile a été le port actif, les marins impulsifs, les esclaves cochers derrière la moue de l'esclave domestique, des mille et un artisans et les divers petits commerces, les caisses de sucre, le trafic trépidant de cette ville d'administration, de commerce et des divertissements dissolus et presque toujours impudiques.

 

Chez lui, la rectitude et l'honnêteté d'une famille de travail, catholique, fidèle à la Couronne et fière des uniformes militaires qui ont habillé le père, le grand-père maternel et les amis des deux.

 

L'adolescence lui a ouvert précocement un autre monde : celui de la classe moyenne cubaine, sans beaucoup de bien, mais instruite, bien informée de la culture moderne, soucieuse pour transformer le régime politique et ennemi de l'esclavage qu’ils considéraient indigne.

 

Ce groupe d’enseignants, d’avocats, d’écrivains, de lettrés libéraux et républicains dans leur majorité qui s'enorgueillissaient d'être Cubains et bien différents des Espagnols, c’est cette société qui a impulsé son engagement patriotique et sa conscience pleine de ce qu'il avait assimilé de la culture populaire.

 

Et comme de très nombreux autres Cubains, José Martí a considéré que le moment de concrétiser l'indépendance convoitée après l’éclatement du 10 octobre 1868 était arrivé, son engagement particulier a été scellé avec son incarcération comme prisonnier politique. Ces mois sous de terribles travaux forcés, enchaîné, maltraité, voyant la mort à côté de lui, sur le point de mourir lui-même, ont mis pour toujours Cuba au centre de son attention et de sa vie.

 

C'est pour cette raison qu’à Madrid et à Saragosse, alors qu'il étudiait en condition de déporté, il a été considéré comme un flibustier pour marcher avec les patriotes et écrire pour la liberté de Cuba. C'est pour cette raison, au Mexique, où son travail nourrissait ses parents et sœurs, qu’il s’est enrôlé dans une expédition vers Cuba qui n'a jamais pu partir. C'est pour cette raison qu’au Guatemala, alors qu’il fondait son propre foyer avec son épouse, qu’il mourait de honte pour ne pas s’être incorporé aux champs de bataille.

 

Le retour à Cuba a ébranlé sa sensibilité en voyant les usuriers et les opportunistes qui prospéraient à l'ombre du pouvoir colonial. Mais il renaquit quand il s’est lié avec ceux qui conspiraient, avec la Cuba secrète et profonde qui n'acceptait pas le honteux Pacto del Zanjón (Pacte du Zanjón) sans l’indépendance ni l’abolition de l'esclavage.

 

Un jeune noir, fils d'esclaves, brillant et écrivain comme lui, a été son ami et son compagnon depuis lors : Juan Gualberto Gómez. Il a connu de nombreux anciens soldats de la patrie qui étaient confus et voulaient continuer le combat, il est entré pleinement dans la société havanaise depuis sa condition d'avocat et d’intellectuel, il a voyagé dans la campagne et dans les villages de l'occident de l'île, préparant les soulèvements. Son charisme et son talent d'organisateur l'ont rapidement élevé à la direction de la conspiration de la Guerra Chiquita (Petite Guerre).

 

Il n'y a pas eu, il ne pouvait pas y avoir de marche en arrière dans son engagement avec Cuba. Il a été déporté une seconde fois en Espagne, il s’est échappé à New York et, depuis là, il a été une des âmes de l'émigration cubaine. Ce fut un long processus, avec des reculs et des difficultés, mais il a su gagner le cœur des cigariers, des Blancs et des Noirs, des petits commerçants et même des aristocrates qui vivaient dans la Cinquième Avenue.

 

Il a écrit dans de un grand nombre de journaux pour les Hispano-américains pendant plus de dix ans, ayant Cuba en tête et regardant vers le futur.

 

Quand il l'a cru opportun, il a uni tous les efforts dans le Parti Révolutionnaire Cubain et il a été l'organisateur d'une guerre pour libérer Cuba de l'Espagne  et pour empêcher l'entrée des Etats-Unis dans les Antilles. Son radical projet républicain s'est formé à la chaleur des débats de l'émigration et de l'intérieur de l'île. Il n'a pas donné de capacité au caudillisme ni aux aventures expéditionnaires, mais il a ourdi une fine trame des intérêts et des secteurs pour entreprendre une guerre des majorités et à caractère populaire. Il a toujours aspiré à cela. Il s'est rappelé du village côtier de Cojímar dans un de ses essais essentiels. Il a profité de la tisane paysanne dans la montagne orientale.

 

Il a peut-être seulement voulu savourer le bonheur quand il a foulé de nouveau la terre de Cuba la nuit du 11 avril 1895. Dans son journal il a écrit « Un grand bonheur », se rapportant à la flore, la faune, les gens avec leur langage et leurs coutumes, la politique de la guerre : il découvrait la Cuba qu'il ne connaissait pas, celle du paysan oriental, celle du campement et du combat.

 

C'est pour cette raison qu’il est mort au combat le 19 mai 1895, car il était aussi Cubain que les autres Cubains.

 

 

 

(Source Lettres de Cuba)

 

 

 

 

 

 



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