États-Unis : le pape François condamne les expulsions massives de migrants ordonnées par Trump

Édité par Reynaldo Henquen
2025-02-11 22:13:54

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Ce lundi 10 février, le pape François a publié une exhortation apostolique adressée à l'épiscopat des États-Unis pour évoquer la crise en cours dans le pays, suite aux décisions contre l'immigration prises par le nouveau président Trump. Le Pèlerin décrypte ce message.

Ce lundi 10 février, le pape François a publié une exhortation apostolique adressée à l'épiscopat des États-Unis pour évoquer la crise en cours dans le pays, suite aux décisions contre l'immigration prises par le nouveau président Trump. Le Pèlerin décrypte ce message.

Dans un courrier daté du 10 février, rédigé en espagnol et en anglais, le pape François apporte son soutien aux évêques américains qui se sont déjà exprimés et d'inviter les autres à exprimer leur désaccord avec cette politique d'expulsion massive.

 

Rappelant l'histoire sainte de l'Exode du peuple hébreu migrant vers sa terre, le pape François explique que cette mémoire nous oblige. Elle révèle pour chacun que la figure divine se manifeste ainsi « proche, incarnée, migrante et réfugiée ». Cette proximité, que l'incarnation du Christ révélera pleinement, rejaillit sur notre propre humanité qui, ainsi rejointe, se révèle infiniment digne et ouverte à la transcendance.

 

À ceux qui, aux États-Unis notamment, critiquent, même dans la communauté catholique, l'engagement trop récurrent du pape François pour la cause des migrants, ce dernier rappelle qu'il ne s'agit pas d'une lubie récente et sans histoire. C'est le document Exsul familia publié par le pape Pie XII il y a plus de 70 ans (1er août 1952) qui évoquait déjà le phénomène migratoire, notamment après-guerre, comme une forme positive de mondialisation humaine avant l'heure.

 

La famille de Nazareth, qui doit fuir en Égypte pour survivre, est ainsi un modèle incontournable pour les chrétiens : « modèle, exemple, consolation » des migrants de tous les temps. Ainsi, c'est d'abord la dignité de toute personne qui doit être la grille de lecture des événements auxquels nous assistons, bien avant les analyses politiques et économiques.

 

À partir de cette grille de lecture, le pape François analyse la politique actuelle de la nouvelle équipe dirigeante, qui engage un lourd programme d'exil forcé des populations migrantes dans le pays. Il donne ainsi plusieurs critères pour exprimer cette contestation :

 

Dénonciation des propos qui assimilent le statut de migrant illégal à celui de criminel.

Le rappel que le grand nombre de réfugiés politiques et économiques qui arrivent aux États-Unis fuyant des situations dégradantes et violentes doit inviter au respect dans les décisions prises.

C'est la notion même de bien commun qui doit être le fil rouge des politiques menées, en privilégiant le respect des plus fragiles.

Ce sont les formes d'injustice que génèrent ces programmes sans nuances, qui creusent encore les inégalités sociales, qui sont ainsi dénoncées.

« Ce qui est construit sur la force, et non sur la vérité et l'égale dignité de chaque être humain, commence mal et finira mal. »

 

Le pape François

Un appel à refuser les « récits discriminatoires »

Le pape François critique aussi l'usage souvent entendu dans les milieux conservateurs — et parfois même travesti pour dire qu'il serait d'origine chrétienne — d'une charité qui ne pourrait agir que de manière concentrique en commençant par les plus proches. À cette vision idéologique, qui induit indirectement le maintien de la loi du plus fort, le pape François oppose la liberté du geste transgressif du Bon Samaritain dans la parabole incontournable de l'hospitalité chrétienne.

 

La déclaration du pape est ainsi un appel à refuser les « récits discriminatoires » pour privilégier des vies orientées par la solidarité et la fraternité. Pour construire des ponts bien plus que des murs. Une invitation qui se clôt par la demande de l'intercession de Notre-Dame de Guadelupe, celle qui, ayant « su réconcilier les peuples lorsqu'ils étaient hostiles, nous accorde à tous de nous retrouver frères et sœurs dans ses bras, et de faire ainsi un pas en avant dans la construction d'une société plus fraternelle, inclusive et respectueuse de la dignité de tous. »

 

Au final, ce document exprime la cohérence de l'engagement du pape François qui, dès les premiers jours de son pontificat, a pris la question migratoire comme un marqueur pour décrypter la justesse des politiques nationales et inviter les chrétiens à manifester la surabondance de l'amour fraternel, signe transcendant dans un monde tenté par le repli sur soi et la haine de l'autre.

 

Texte de la lettre du pape

Chers frères dans l'épiscopat,

 

Je vous écris aujourd'hui pour vous adresser quelques mots en ces moments délicats que vous vivez en tant que Pasteurs du Peuple de Dieu qui marchent ensemble aux États-Unis d'Amérique.

 

1. Le voyage de l'esclavage à la liberté qu'a parcouru le peuple d'Israël, tel que le raconte le Livre de l'Exode, nous invite à regarder la réalité de notre temps, si clairement marquée par le phénomène de migration, comme un moment décisif de l'histoire pour réaffirmer non seulement notre foi en un Dieu toujours proche, incarné, migrant et réfugié, mais aussi la dignité infinie et transcendante de toute personne humaine.

 

2. Ces mots par lesquels je commence ne sont pas une construction artificielle. Même un examen superficiel de la doctrine sociale de l'Église montre avec insistance que Jésus-Christ est le véritable Emmanuel (cf. Mt1, 23) ; il n'a pas vécu à l'écart de l'expérience difficile d'être expulsé de son propre pays en raison d'un risque imminent pour sa vie et de l'expérience de devoir se réfugier dans une société et une culture étrangères aux siennes. Le Fils de Dieu, en se faisant homme, a choisi aussi de vivre le drame de l'immigration. J'aime rappeler, entre autres, les paroles par lesquelles le pape Pie XII a commencé sa Constitution apostolique sur le soin des migrants, considérée comme la « Magna Carta » de la pensée de l'Église sur la migration : « La famille de Nazareth en exil, Jésus, Marie et Joseph, émigrés en Égypte et réfugiés là-bas pour échapper à la colère d'un roi impie, sont le modèle, l'exemple et la consolation des émigrés et des pèlerins de tout âge et de tout pays, de tous les réfugiés de toute condition qui, assaillis par la persécution ou la nécessité, sont contraints de quitter leur patrie, leur famille bien-aimée et leurs amis chers pour des terres étrangères. »

 

3. De même, Jésus Christ, aimant tous d'un amour universel, nous éduque à la reconnaissance permanente de la dignité de tout être humain, sans exception. En effet, lorsque nous parlons de "dignité infinie et transcendante", nous souhaitons souligner que la valeur la plus décisive que possède la personne humaine surpasse et soutient toute autre considération juridique qui peut être faite pour réguler la vie en société. Ainsi, tous les fidèles chrétiens et les personnes de bonne volonté sont appelés à considérer la légitimité des normes et des politiques publiques à la lumière de la dignité de la personne et de ses droits fondamentaux, et non l'inverse.

 

4. J'ai suivi de près la crise majeure qui se déroule aux États-Unis avec le lancement d'un programme d'expulsions massives. Une conscience correctement formée ne peut manquer de porter un jugement critique et d'exprimer son désaccord avec toute mesure qui identifie tacitement ou explicitement le statut illégal de certains migrants avec la criminalité. Dans le même temps, il faut reconnaître le droit d'une nation à se défendre et à protéger les communautés contre ceux qui ont commis des crimes violents ou graves pendant leur séjour dans le pays ou avant leur arrivée. Cela dit, le fait d'expulser des personnes qui, dans de nombreux cas, ont quitté leur propre pays pour des raisons d'extrême pauvreté, d'insécurité, d'exploitation, de persécution ou de grave détérioration de l'environnement, porte atteinte à la dignité de nombreux hommes et femmes, et de familles entières, et les place dans un état de vulnérabilité et d'impuissance particulière.

 

5. Il ne s'agit pas d'une question mineure : un véritable État de droit se vérifie précisément dans le traitement digne que méritent tous, en particulier les plus pauvres et les plus marginalisés. Le véritable bien commun est promu lorsque la société et le gouvernement, avec créativité et dans le strict respect des droits de tous – comme je l'ai affirmé à de nombreuses reprises – accueillent, protègent, promeuvent et intègrent les plus fragiles, les plus défavorisés et les plus vulnérables. Cela n'empêche pas le développement d'une politique qui réglemente la migration ordonnée et légale. Toutefois, ce développement ne peut se produire grâce au privilège des uns et au sacrifice des autres. Ce qui est construit sur la force, et non sur la vérité sur l'égale dignité de chaque être humain, commence mal et finira mal.

 

6. Les chrétiens savent bien que ce n'est qu'en affirmant la dignité infinie de tous que notre propre identité en tant que personnes et en tant que communautés atteint sa maturité. L'amour chrétien n'est pas une expansion concentrique d'intérêts qui s'étendent peu à peu à d'autres personnes et à d'autres groupes. Autrement dit: la personne humaine n'est pas un simple individu, relativement expansif, doté de quelques sentiments philanthropiques! La personne humaine est un sujet digne qui, à travers la relation constitutive avec tous, en particulier avec les plus pauvres, peut progressivement mûrir dans son identité et sa vocation. Le trueordo amoris qu'il faut promouvoir est celui que l'on découvre en méditant constamment sur la parabole du « Bon Samaritain » (cf. Lc 10, 25-37), c'est-à-dire en méditant sur l'amour qui construit une fraternité ouverte à tous, sans exception.

 

7. Mais se soucier de l'identité personnelle, communautaire ou nationale, au-delà de ces considérations, introduit facilement un critère idéologique qui déforme la vie sociale et impose la volonté du plus fort comme critère de vérité.

 

8. Je reconnais vos précieux efforts, chers frères évêques des États-Unis, alors que vous travaillez en étroite collaboration avec les migrants et les réfugiés, en proclamant Jésus-Christ et en promouvant les droits humains fondamentaux. Dieu récompensera abondamment tout ce que vous faites pour la protection et la défense de ceux qui sont considérés comme moins précieux, moins importants ou moins humains !

 

9. J'exhorte tous les fidèles de l'Église catholique, ainsi que tous les hommes et femmes de bonne volonté, à ne pas céder aux récits discriminatoires et causant des souffrances inutiles à nos frères et sœurs migrants et réfugiés. Avec charité et clarté, nous sommes tous appelés à vivre dans la solidarité et la fraternité, à construire des ponts qui nous rapprochent toujours plus, à éviter les murs de l'ignominie et à apprendre à donner notre vie comme Jésus-Christ a donné la sienne pour le salut de tous.

 

10. Demandons à Notre-Dame de Guadalupe de protéger les individus et les familles qui vivent dans la peur ou la douleur à cause de la migration et/ou de la déportation. Que la « Virgen morena », qui a su réconcilier les peuples lorsqu'ils étaient hostiles, nous accorde à tous de nous retrouver frères et sœurs, dans ses bras, et de faire ainsi un pas en avant dans la construction d'une société plus fraternelle, inclusive et respectueuse de la dignité de tous.

 

Fraternellement,

 

François

 

 

 

Du Vatican, le 10 février 2025



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